- He Steev ! Ramène tes fesses ici. On a pas le temps de jouer.

La voix de Desmond gronda à travers une rue tortueuse de Bloodheim, le Drattac attendait son compagnon en tapant du pied. Si cet abruti continuait à draguer les pucelles (s’il pouvait en rester dans cette ville) ils finiraient par être en retard pour la réunion avec le reste des gabiers. Quelques jours auparavant, l’équipage avait mis la main sur une carte au trésor ma foi forte intéressante d’un voyageur qui avait un peu trop bu la veille. Malheureusement, les indications étaient peu claires et il était difficile d’y déchiffrer quoique ce soit. Weston avait donc annoncé une réunion avec les gabiers et quelques autres matelots dans une taverne dans le but de se décider sur la division de l’équipage, le Farfuret souhaitait couvrir une zone de recherche la plus large possible pour débusquer le butins. Et les pirates le savaient : mieux valait pour eux d’être à l’heure au rendez-vous.

- Ça va, j’arrive. Grogna le dénommé Steev, visiblement agacer par le ton de son camarade. C’est le printemps. J’y peux rien, les hormones qui se réchauffent, tout ça …

- Je t’assure que si on se fait engueuler à cause de tes conneries, ce sera tes fesses qui seront en feu.

Le Granbull grimaça, certain que les menaces de Desmond n’étaient pas des paroles en l’air, puis il lui emboita le pas à travers les ruelles sales et aux relents de poissons.
Arrivés devant l’auberge, les deux pirates poussèrent les portes de l’établissement au-dessus desquelles un panneau de bois se balançait au gré de la brise maritime et où on pouvait y lire les caractères gravés suivants : « Au Renard Pourpre ».
La taverne n’était pas bien différente des autres de la ville : sans fioriture, sale et hébergeant comme clients quelques alcooliques quotidiens et des pirates venus se ressourcer avant de repartir en mer. Habitués à ce genre d’ambiance, Desmond et Steev se dirigèrent au fond de la pièce, vers une grande table auxquelles huit personnes étaient déjà attablées et qui semblaient les attendre, une pinte de bière ou de rhum à la main. Les deux arrivants prirent les deux chaises restantes avant de commander à leur tour une boisson.

- Bonjour bonjour. On ne vous a pas trop fait attendre ? ~

La voix du Drattac se fit mielleuse, tentant de se prémunir d’une quelconque remarque.

- Vous êtes en retard.

La voix de Weston eu l’effet d’un fouet sur les deux nouveaux venus. Aussi, le sourire de Desmond se changea aussitôt par un regard plein de reproche envers son camarade, qui de son coté, tentait de se faire le plus petit possible sous le regard des autres flibustiers enchantés de ne pas être à leur place. Soudain, au moment où le Farfuret ouvrit la bouche pour continuer sa phrase, un jeune homme aux cheveux bleutés entra dans l’établissement.

- Je cherche Weston !

En guise de réponse, tous les regards s’étant tantôt tourné vers le nouvel arrivant convergèrent en direction de la tablé de l’homme en question. Les messes-basses débutèrent alors. Qu’est-ce que ce jeune homme voulait-il à ce forban au milieu d’une taverne crasse et remplie de coupe-gorge ? Plusieurs « Il est fou ! » se chuchotèrent entre les ivrognes, décidément interloqué par la demande du jeunot.
L’intéresser soupira et, regardant son verre vide, répondit sans savoir si son interlocuteur s’était approché ou non de la tablé.

- Capitaine, gamin. Capitaine Weston. Qu’est-ce que tu m’veux ?

Attendant sa réponse, et, espérait-il, satisfaisante, le Farfuret réfléchit si, pendu par les pieds ou donné en pature à des Sharpedos, le garçon comprendrait mieux qu’il ne fallait pas déranger bêtement Weston si son explication ne lui plaisait pas.

Comme une épée de Damoclès au-dessus du jeune homme, les hommes de la taverne attendirent le retour de ce dernier et la raison de sa venue dans cet établissement miteux. Aussi, les gabiers de l’équipage le regardaient avec insistance et sûrement, en lui mettant une pression de plus. Mais après avoir intériorisé son malaise et en assumant la suite que pourraient avoir les évènements, le nouveau venu se lança :

-Je suis désolé de vous déranger et d'être aussi présomptueux mais, voudriez-vous m'aider à devenir capitaine d'un bateau ?

Cette déclaration n’eut malheureusement pas comme effet d’éteindre les commérages des tables alentours, au grand damne du pirate qui se fatiguait d’entendre les piaillements des badauds. Même la tablé de l’équipage commençait à médire sur la situation.
Comme pour ordonner le silence, Weston abattu sa chope sur la table assez bruyamment après avoir pris une gorgée pour montrer à tous qu’il n’allait pas tarder à répondre, mais marqua un silence de quelques secondes. Dit ainsi, il est vrai que l’idiotie du propos n’est pas à démontrer, pourtant, il se délecta de cet instant insonore, où tous-du moins, c’est ce qu’il espérait-, suspendu à ses lèvres, attendaient la suite de l’histoire avec un mélange d’appréhension et d’excitation. Le forban aimait abuser de ces situations où il pouvait facilement se mettre sur le devant de la scène et où le reste des Arcadiens ne se résumaient qu’à interpréter de simples figurants ou spectateurs. Oui son égo le perdra fort certainement un jour, mais d’ici là, le pirate n’allait pas se priver d’utiliser ce gamin comme marchepieds.

Car de toute évidence, Weston n’avait strictement rien à faire de la demande du jeune homme. Sa phrase lui fit autant d’effet que de recevoir une viande mal cuite, ce n’était pas bien grave à gérer, mais ça exaspérait et ça donnait une bonne raison pour agacer le monde. Aussi finit-il par répondre à l’inconnu, toujours en ne lui adressant aucun regard :

-Et pourquoi le ferais-je ? Je n’ai rien à gagner à traîner un poids mort derrière moi. Cela ne fera que perdre mon temps, et je peux t’assurer qu’il est bien plus précieux que le tien. Répondit-il d’une voix calme et un brin cynique.

Il espérait qu’il avait bien fait comprendre à son interlocuteur que le flibustier n’avait rien à faire des gens dans le besoin sans qu’ils aient quoique ce soit à lui donner en retour-et de façon substantielle. Toutefois, Weston n’avait pas envie de s’en arrêter là, ce serait trop simple et ennuyeux, et le Farfuret avait toujours envie de se divertir :

-Mais tu es courageux d’être venu me demander ça en personne. Ou inconscient. Mais ne dit-on pas que les deux font la paire ? Il marqua une courte pause, histoire de faire durer le suspense quelques instants de plus. Je vais te donner une chance.

Il fit signe à Steev de se lever. Ce dernier s’exécuta un peu confus et ne comprenant pas tout de suite les intentions de son capitaine, s’attendant à tout et au pire. Une petite voix dans sa tête lui conseilla de ne plus être en retard les prochaines fois.

-Montre-moi ce que tu sais faire et je reconsidèrerais peut-être ma position.

Entre deux gorgés, le capitaine jeta un premier coup d’œil vers l’inconnu, il y vit alors un jeune gringalet avec plus d’audace que de compétence, un gars pas bien dangereux en somme, mais c’était parfait, le gabiers aura tôt fait d’en finir avec lui. Car c’est précisément ce que le Farfuret voulait, un combat, là, maintenant, dans cette taverne de bas-étage. Le Granbull comprit lui aussi ce qu’on voulait de lui, et ce n’était pas pour lui déplaire. Il poussa une table pour faire de la place et, jubilant sur place, prêt à en découdre, il attendit le gamin qui allait être son adversaire. Steev ne prit cependant pas son apparence originelle, surement par fierté de pouvoir écraser son opposant sans utiliser la moindre attaque.
Les autres badauds de l’établissement n’osèrent rien dire, certains reculèrent de leur chaise, le propriétaire tenant le bar commença à ranger les choses les plus fragiles en se préparant à l’inévitable. Un gabier contre un apprenti, combien de temps ce dernier allait-il résister ? Les paris débutèrent de plus belle.